#négocier

10/10/2023

Jacques Fabrizi

,

En l’an IV apr. S.-C. (Sars-CoV-2), régnait sur la France un monarque républicain qui se souciait plus des riches que des pauvres de son royaume. Il se singularisait par des attitudes parfois déplacées et peu conformes à une personnalité de son rang. Il adoptait de temps à autre des paroles empruntées au langage populaire pour apparaître comme l’alter ego des citoyens du bas peuple. Les exemples foisonnaient. Alors qu’il n’était encore que ministre de l’Économie, il se montrait déjà méprisant envers les petites gens ; à Lunel, dans l’Hérault, il fut pris à partie par des opposants à la loi Travail. « Vous n’allez pas me faire peur avec votre t-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ! », s’était-il emporté, lors d’un échange très tendu avec deux syndicalistes qui lui répondirent du tac au tac qu’ils travaillaient déjà depuis l’âge de 16 ans. « Si vous n’aimez pas que la France soit bloquée, arrêtez de la bloquer ! » avait lancé le ministre visiblement agacé par les attaques verbales de ses deux interlocuteurs. « Mais c’est vous qui bloquez la France à coup de 49-3  ! », lui fut-il répondu. À un jeune chômeur, lors des Journées du Patrimoine, qui se plaignait de ne pas trouver de travail, il lui avait affirmé : « Je traverse la rue et je vous en trouve du travail. » Dans une vidéo, il déclarait : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas. Ceux qui sont pauvres restent pauvres. » Dans le même temps, ceux qui étaient riches restaient riches, voire richissimes. 

Les ministres de son gouvernement se montraient sur la même longueur d’onde. Ils écoutaient la radio élyséenne, « la Voix de son maître ». Ils appliquaient la politique décidée par le monarque républicain, aux accents gaulliens, qui cumulait les fonctions de chef de l’État, de Premier ministre et de stratège en communication.

Inutile de préciser que la France allait mal. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle était moribonde mais presque, fortement menacée dans ses fondements démocratiques par une droite extrême qui se tenait à l’affût ; à la moindre occasion, elle n’hésiterait pas à donner le coup de grâce aux instances de la République. Tandis que certains pactisaient déjà avec le diable, d’autres redoutaient plus que tout cette menace pour les libertés publiques et la démocratie  ? 

Dans le domaine de la Santé, c’était peut-être encore pire que dans d’autres secteurs d’activités. L’ex-ministre de la Santé, pourtant urgentiste de formation, avait échoué à remédier aux maux qui rongeaient l’hôpital. Il avait pris son temps pour les analyser, les maux, sans trouver de thérapeutique adaptée. Son successeur, énarque, dont l’épouse était numéro deux de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), sans que cela posât le moindre conflit d’intérêts selon la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, semblait également prendre son temps. Les négociations conventionnelles avec les syndicats médicaux représentatifs avaient échoué et un règlement arbitral régissait les rapports entre la CNAM et les médecins. Il prévoyait une augmentation des honoraires de 1,5 euros à compter du 1er novembre. Pourquoi pas à Noël, au point où nous en étions ? Cette prétendue revalorisation des honoraires médicaux ne prenait même pas en compte l’inflation galopante qui sévissait. Cette attitude relevait d’un total mépris des instances sanitaires à l’égard des médecins qui la considéraient comme une énième humiliation. Le nouveau ministre de la Santé se hâtait lentement pour entamer de nouvelles négociations avec les syndicats médicaux, arguant qu’il étudiait le problème. « Piano piano la mattina e mica svelta la sera ! »*, aurait dit mon père. 

Les médecins demeuraient dans l’attente d’un choc d’attractivité surtout pour montrer une autre image de la médecine générale aux jeunes générations qui refusaient naturellement de s’orienter dans une voie de garage. On leur proposait en échange une politique de régression à tous les points de vue. Que les honoraires des médecins fussent bloqués depuis des lustres lui importait peu. Plus le temps passait et plus les comptes sociaux ne s’en porteraient que mieux. Que les charges des médecins crûssent inexorablement semblait également l’indifférer. Face à cette situation, certains médecins se rebellèrent et augmentèrent unilatéralement leurs honoraires. Ils se virent alors menacés de représailles et rappelés — aussi ubuesque que cela pût paraître — à respecter leurs engagements conventionnels par les instances de la Sécurité sociale. Négocier ne figurait pas au registre lexical de l’exécutif. Ils préféraient délibérément laisser les situations s’enliser et opposer un franc dédain aux classes laborieuses dont les médecins, qui refusaient la marchandisation et la privatisation de la santé, faisaient partie. 

Après les émeutes urbaines qui essaimèrent partout en France fin juin, il ne manquait plus que l’incendie du Palais Bourbon pour rappeler, de sinistre mémoire, le feu au Reichstag en 1933 et la tragique histoire qui s’ensuivit…

I’m a poor lonesome doctor…

 

----------------------------------

*Doucement le matin et pas trop vite le soir…

En l’an IV apr. S.-C. (Sars-CoV-2), régnait sur la France un monarque républicain qui se souciait plus des riches que des pauvres de son royaume. Il se singularisait par des attitudes parfois déplacées et peu conformes à une personnalité de son rang. Il adoptait de temps à autre des paroles empruntées au langage populaire pour apparaître comme l’alter ego des citoyens du bas peuple. Les exemples foisonnaient. Alors qu’il n’était encore que ministre de l’Économie, il se montrait déjà méprisant envers les petites gens ; à Lunel, dans l’Hérault, il fut pris à partie par des opposants à la loi Travail. « Vous n’allez pas me faire peur avec votre t-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ! », s’était-il emporté, lors d’un échange très tendu avec deux syndicalistes qui lui répondirent du tac au tac qu’ils travaillaient déjà depuis l’âge de 16 ans. « Si vous n’aimez pas que la France soit bloquée, arrêtez de la bloquer ! » avait lancé le ministre visiblement agacé par les attaques verbales de ses deux interlocuteurs. « Mais c’est vous qui bloquez la France à coup de 49-3  ! », lui fut-il répondu. À un jeune chômeur, lors des Journées du Patrimoine, qui se plaignait de ne pas trouver de travail, il lui avait affirmé : « Je traverse la rue et je vous en trouve du travail. » Dans une vidéo, il déclarait : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas. Ceux qui sont pauvres restent pauvres. » Dans le même temps, ceux qui étaient riches restaient riches, voire richissimes. 

Les ministres de son gouvernement se montraient sur la même longueur d’onde. Ils écoutaient la radio élyséenne, « la Voix de son maître ». Ils appliquaient la politique décidée par le monarque républicain, aux accents gaulliens, qui cumulait les fonctions de chef de l’État, de Premier ministre et de stratège en communication.

Inutile de préciser que la France allait mal. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle était moribonde mais presque, fortement menacée dans ses fondements démocratiques par une droite extrême qui se tenait à l’affût ; à la moindre occasion, elle n’hésiterait pas à donner le coup de grâce aux instances de la République. Tandis que certains pactisaient déjà avec le diable, d’autres redoutaient plus que tout cette menace pour les libertés publiques et la démocratie  ? 

Dans le domaine de la Santé, c’était peut-être encore pire que dans d’autres secteurs d’activités. L’ex-ministre de la Santé, pourtant urgentiste de formation, avait échoué à remédier aux maux qui rongeaient l’hôpital. Il avait pris son temps pour les analyser, les maux, sans trouver de thérapeutique adaptée. Son successeur, énarque, dont l’épouse était numéro deux de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), sans que cela posât le moindre conflit d’intérêts selon la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, semblait également prendre son temps. Les négociations conventionnelles avec les syndicats médicaux représentatifs avaient échoué et un règlement arbitral régissait les rapports entre la CNAM et les médecins. Il prévoyait une augmentation des honoraires de 1,5 euros à compter du 1er novembre. Pourquoi pas à Noël, au point où nous en étions ? Cette prétendue revalorisation des honoraires médicaux ne prenait même pas en compte l’inflation galopante qui sévissait. Cette attitude relevait d’un total mépris des instances sanitaires à l’égard des médecins qui la considéraient comme une énième humiliation. Le nouveau ministre de la Santé se hâtait lentement pour entamer de nouvelles négociations avec les syndicats médicaux, arguant qu’il étudiait le problème. « Piano piano la mattina e mica svelta la sera ! »*, aurait dit mon père. 

Les médecins demeuraient dans l’attente d’un choc d’attractivité surtout pour montrer une autre image de la médecine générale aux jeunes générations qui refusaient naturellement de s’orienter dans une voie de garage. On leur proposait en échange une politique de régression à tous les points de vue. Que les honoraires des médecins fussent bloqués depuis des lustres lui importait peu. Plus le temps passait et plus les comptes sociaux ne s’en porteraient que mieux. Que les charges des médecins crûssent inexorablement semblait également l’indifférer. Face à cette situation, certains médecins se rebellèrent et augmentèrent unilatéralement leurs honoraires. Ils se virent alors menacés de représailles et rappelés — aussi ubuesque que cela pût paraître — à respecter leurs engagements conventionnels par les instances de la Sécurité sociale. Négocier ne figurait pas au registre lexical de l’exécutif. Ils préféraient délibérément laisser les situations s’enliser et opposer un franc dédain aux classes laborieuses dont les médecins, qui refusaient la marchandisation et la privatisation de la santé, faisaient partie. 

Après les émeutes urbaines qui essaimèrent partout en France fin juin, il ne manquait plus que l’incendie du Palais Bourbon pour rappeler, de sinistre mémoire, le feu au Reichstag en 1933 et la tragique histoire qui s’ensuivit…

I’m a poor lonesome doctor…

 

----------------------------------

*Doucement le matin et pas trop vite le soir…

Nos éditos directement chez vous
Merci pour votre inscription !