#leplusbeaumétierdumonde

25/05/2023

Jacques Fabrizi

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Les jambes allongées au soleil, je savourais un limoncello que mon frère m’avait offert, un fait maison. Il faisait doux, la température idéale pour une sieste en plein air. Le repas de l’Ascension avait été copieux. Confortablement installé sur une chaise longue de jardin, je me suis laissé gagner par un irrépressible désir de farniente. De temps à autre, écouter le silence ne fait pas de mal et il n’y a pas de mal à se faire du bien, comme aurait dit un de mes amis. J’ai repris un second limoncello bravant les interdits et les remontrances de mon médecin qui, sous le prétexte de me prodiguer de bons conseils, entravent parfois mes instincts épicuriens. 

Mes paupières sont soudain devenues lourdes. J’ai posé la tête sur la toile, j’ai fermé les yeux et je me suis assoupi, peut-être pas très longtemps, mais suffisamment pour me mettre à rêver. Quand l’âge avance et que l’on se rapproche de l’échéance, on a souvent tendance à se tourner vers le passé. C’est humain et tristement banal. Pas de quoi s’en vanter. L’on est aussi plus enclin à faire le bilan de sa vie.

Alors, j’ai repensé à ce jour où j’étais allé, dans une totale insouciance, m’inscrire en médecine. J’étais prêt à tout pour ne pas aller travailler à l’usine comme mon père. Finalement, je n’avais sans doute pas le profil idéal pour exercer ce métier, paraît-il, le plus beau métier du monde, mais ensuite, je me suis pris au jeu, si vous me permettez de m’exprimer ainsi, et j’en suis devenu totalement dingue. Pas pour le pognon, comme aurait dit le président de la République, mais par égard pour mon prochain. Je me suis mis à lire dans les yeux de mes patients tout le bien que je leur apportais et ça, c’est le plus beau des retours, la plus grande des satisfactions. 

Bon ! Il est certain que j’ai toujours eu tendance à rêvasser et à idéaliser les situations. Après s’ensuivent toujours les désillusions. Cela ne tarda pas. Mes allants altruistes furent vite mis à rude épreuve par toutes les mesures politiques qui nous ont conduits à la situation que nous connaissons actuellement : pénurie de médecins, déserts médicaux, hôpitaux au bord de la faillite et soignants en burn-out. Je ne vais tout de même pas vous décrire plus longuement ce que vous vivez au quotidien. 

Le ministre l’a dit dernièrement et il le répète à loisir, je ne suis pas dans les promesses, mais dans l’action. Parfois, je préférerais qu’il soit plus dans les promesses, à condition qu’il les tienne, que dans l’action. Cet ex-urgentiste, ami du président, devenu ministre pour résoudre les problèmes d’engorgement des urgences, s’occupe naturellement et en premier lieu des urgences. Déconnecté de la vraie vie, du haut de son ministère avec vue splendide sur le Dôme doré des Invalides, ce zélé serviteur de l’État prend parfois des décisions pour le moins surprenantes. Ainsi, par décret paru le 7 mai dernier, les urgences gagnent plus à envoyer un patient vers les médecins de ville, sans le soigner — rémunération fixée à 60 € —, tandis que le médecin qui va le prendre en charge sera royalement rétribué à un tarif on ne peut plus humiliant après dix années d’études et plus de quarante années d’expérience en ce qui me concerne. Cherchez l’erreur…

Le ministre de la Santé et de la Prévention, François pour les intimes, je peux me le permettre mon frère porte le même prénom, en a fait la promesse aux Français : il exige que tous les patients en ALD aient un médecin traitant avant la fin de l’année. Il le réclame à cor et cri et n’hésite pas à faire du chantage et à mettre la pression sur les médecins, déjà plus que débordés, pour qu’ils augmentent leur patientèle et le nombre d’actes quotidiens, y compris en les incitant à prendre leur déjeuner sur le pouce. Quand un restaurant affiche complet, il ne prend plus aucune réservation, c’est bien connu, sinon cela se fait au détriment de la qualité ; il en va de même pour la médecine. Mais qu’à cela tienne, au pays d’Ubu Roi, la gouvernance demeure nationale, mais déclinée tout au long du millefeuille des instances locales : ARS, CDOM, CPL, DDETS, CPTS, CLS ou CD. Je vous laisse le soin de décoder tous ces acronymes pour que vous preniez bien conscience de l’usine à gaz que l’exécutif prépare.

Je ne sais pas si c’est le limoncello ou le rêve qui tournait au cauchemar, mais j’ai eu un haut-le-cœur. Je me suis réveillé en sursaut tout contrarié par ces briseurs de rêves. Alors, moi qui ne suis pas croyant, je me suis mis à prier : « Oh mon Dieu ne leur pardonnez pas, car ils savent ce qu’ils font ! »

I’m a poor lonesome doctor…

Les jambes allongées au soleil, je savourais un limoncello que mon frère m’avait offert, un fait maison. Il faisait doux, la température idéale pour une sieste en plein air. Le repas de l’Ascension avait été copieux. Confortablement installé sur une chaise longue de jardin, je me suis laissé gagner par un irrépressible désir de farniente. De temps à autre, écouter le silence ne fait pas de mal et il n’y a pas de mal à se faire du bien, comme aurait dit un de mes amis. J’ai repris un second limoncello bravant les interdits et les remontrances de mon médecin qui, sous le prétexte de me prodiguer de bons conseils, entravent parfois mes instincts épicuriens. 

Mes paupières sont soudain devenues lourdes. J’ai posé la tête sur la toile, j’ai fermé les yeux et je me suis assoupi, peut-être pas très longtemps, mais suffisamment pour me mettre à rêver. Quand l’âge avance et que l’on se rapproche de l’échéance, on a souvent tendance à se tourner vers le passé. C’est humain et tristement banal. Pas de quoi s’en vanter. L’on est aussi plus enclin à faire le bilan de sa vie.

Alors, j’ai repensé à ce jour où j’étais allé, dans une totale insouciance, m’inscrire en médecine. J’étais prêt à tout pour ne pas aller travailler à l’usine comme mon père. Finalement, je n’avais sans doute pas le profil idéal pour exercer ce métier, paraît-il, le plus beau métier du monde, mais ensuite, je me suis pris au jeu, si vous me permettez de m’exprimer ainsi, et j’en suis devenu totalement dingue. Pas pour le pognon, comme aurait dit le président de la République, mais par égard pour mon prochain. Je me suis mis à lire dans les yeux de mes patients tout le bien que je leur apportais et ça, c’est le plus beau des retours, la plus grande des satisfactions. 

Bon ! Il est certain que j’ai toujours eu tendance à rêvasser et à idéaliser les situations. Après s’ensuivent toujours les désillusions. Cela ne tarda pas. Mes allants altruistes furent vite mis à rude épreuve par toutes les mesures politiques qui nous ont conduits à la situation que nous connaissons actuellement : pénurie de médecins, déserts médicaux, hôpitaux au bord de la faillite et soignants en burn-out. Je ne vais tout de même pas vous décrire plus longuement ce que vous vivez au quotidien. 

Le ministre l’a dit dernièrement et il le répète à loisir, je ne suis pas dans les promesses, mais dans l’action. Parfois, je préférerais qu’il soit plus dans les promesses, à condition qu’il les tienne, que dans l’action. Cet ex-urgentiste, ami du président, devenu ministre pour résoudre les problèmes d’engorgement des urgences, s’occupe naturellement et en premier lieu des urgences. Déconnecté de la vraie vie, du haut de son ministère avec vue splendide sur le Dôme doré des Invalides, ce zélé serviteur de l’État prend parfois des décisions pour le moins surprenantes. Ainsi, par décret paru le 7 mai dernier, les urgences gagnent plus à envoyer un patient vers les médecins de ville, sans le soigner — rémunération fixée à 60 € —, tandis que le médecin qui va le prendre en charge sera royalement rétribué à un tarif on ne peut plus humiliant après dix années d’études et plus de quarante années d’expérience en ce qui me concerne. Cherchez l’erreur…

Le ministre de la Santé et de la Prévention, François pour les intimes, je peux me le permettre mon frère porte le même prénom, en a fait la promesse aux Français : il exige que tous les patients en ALD aient un médecin traitant avant la fin de l’année. Il le réclame à cor et cri et n’hésite pas à faire du chantage et à mettre la pression sur les médecins, déjà plus que débordés, pour qu’ils augmentent leur patientèle et le nombre d’actes quotidiens, y compris en les incitant à prendre leur déjeuner sur le pouce. Quand un restaurant affiche complet, il ne prend plus aucune réservation, c’est bien connu, sinon cela se fait au détriment de la qualité ; il en va de même pour la médecine. Mais qu’à cela tienne, au pays d’Ubu Roi, la gouvernance demeure nationale, mais déclinée tout au long du millefeuille des instances locales : ARS, CDOM, CPL, DDETS, CPTS, CLS ou CD. Je vous laisse le soin de décoder tous ces acronymes pour que vous preniez bien conscience de l’usine à gaz que l’exécutif prépare.

Je ne sais pas si c’est le limoncello ou le rêve qui tournait au cauchemar, mais j’ai eu un haut-le-cœur. Je me suis réveillé en sursaut tout contrarié par ces briseurs de rêves. Alors, moi qui ne suis pas croyant, je me suis mis à prier : « Oh mon Dieu ne leur pardonnez pas, car ils savent ce qu’ils font ! »

I’m a poor lonesome doctor…

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