#écrire

15/11/2022

Jacques Fabrizi

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Écrire pour des idées, l’idée est excellente
Moi j’ai failli mourir de ne l’avoir pas eue*

Ces deux vers résonnent en moi de manière impromptue et me remémorent le souvenir d’un échange téléphonique avec mon éditeur qui au début du premier confinement me demanda si je n’avais rien à exprimer à propos de l’épidémie de Sars-CoV-2 qui sévissait dans notre pays. Sa question m’étonna et je restai un long moment silencieux. Un blanc à n’en plus finir s’immisça dans notre conversation. L’absence de paroles ne signifie pas l’absence de pensées. Un temps suspendu propice à la réflexion ; une réflexion qui n’en fut pas vraiment une, du moins sur le moment. Je bafouillai « Oui, pourquoi pas ? » sans vraiment savoir ce que j’avais à dire, moi, pauvre petit médecin généraliste sur la ligne de front de la guerre contre « un virus invisible, insaisissable, mais qui progressait », moi, un sous-fifre, objet d’un total mépris de nos gouvernants, alors que les plateaux de télévision regorgeaient de professeurs émérites tous autoproclamés es-coronavirus.

Je laissai décanter sa proposition tandis qu’elle déclenchait en moi un ouragan de réflexion, de questionnement, de méditation et d’introspection. Serais-je fait pour être un lâche, me demandai-je avec amertume ? Qu’avais-je fait jusqu’alors pour que l’avenir fût meilleur ?… Rien ! Je me trouvai soudain honteux de rester les bras croisés. Le caractère hautement létal de ce nouveau virus et l’angoisse de devoir écrire sur des sujets de préoccupations auxquels j’étais confronté au quotidien suscitaient en moi des pensées obsédantes, torturantes et des visions d’effroi. Tout devenait de plus en plus confus. Les mêmes tourments et les mêmes images continuaient leur ronde lancinante. Le sommeil me quitta, les nuits devinrent un enfer. Alors je me levai, encore somnolent, j’allai lentement à mon bureau, le pas mal assuré à l’instar de mes idées. Enfin, sans conviction, je me mis à écrire. Quelque chose qui me parut dérisoire, insignifiant. Cependant, je sentis soudain les digues d’un barrage intérieur se fissurer ; elles ne tardèrent pas à céder sous la pression d’une force jusque-là contenue, voire refoulée. Une colère contre tout ce qui me révoltait et que je gardais de longue date au plus profond de mon être se déversa. Dans un texte intitulé Le virus et le médecin, fable du temps présent, je hurlai, ad nauseam, mon courroux, mon indignation, mon mécontentement, ma fureur, mon exaspération, ma furie, mon irritation, mon énervement, mon agacement, mon impatience, mon irritabilité, ma susceptibilité, ma rage, mon emportement, mon horripilation. Un cri libérateur affranchi de tous les carcans d’un prétendu devoir de réserve.

Peu coutumier des réseaux sociaux, publier des textes inédits sur le blog des éditions Cent mille milliards me procura une liberté d’expression que je ne connaissais pas. Alors je me mis à écrire de manière compulsive des billets d’humeur ! Des coups de plumes dans lesquels je laissais libre cours à mes idées, mes ressentis en empruntant le ton de la dérision ; je tenais parfois de propos insolents, voire impertinents. À présent, je voulais écrire afin d’éclairer mes semblables… C’était tout… Je souhaitais simplement dénoncer les dysfonctions, les incohérences, les travers de communications, les non-dits, les mensonges, les injustices, les injonctions paradoxales des instances sanitaires. Je voulais simplement combattre la politique du président de la République et de son gouvernement qui m’apparaissait délétère. J’appelais à une prise de conscience sur ce qui se profilait ; dénoncer la marchandisation de la santé, les difficultés de l’hôpital et de notre système de notre santé. La Santé n’est-elle pas un des biens les plus précieux ? Ne doit-elle pas répondre aux besoins de la population et permettre à ceux qui y travaillent de s’épanouir tout en étant rémunérés à leur juste valeur ? Elle ne devrait pas avoir comme unique paramètre la rentabilité. Il fallait absolument changer de paradigme. Ne rien n’attendre des effets d’annonce. Ne rien attendre des ministres de la Santé qui comme leurs prédécesseurs poursuivraient la même politique. L’hôpital n’était pas en « difficulté » ! Après tant d’années d’incurie, sa mort semblait imminente. Il était grand temps de se réveiller et de prendre la mesure du mal qui gangrénait la société. Je m’obligeai à vivifier les consciences et à insuffler un vent d’indignation et de révolte. Il m’importait de convaincre que le vote protestataire ou pire d’adhésion pour la droite extrême n’y changerait rien. J’en étais persuadé, profondément.

Mais, que m’étais-je imaginé, moi, simple médecin installé aux confins de la Lorraine ? C’était comme si un moucheron voulait lutter contre un éléphant. Je me rendais compte qu’il fallait résister, exprimer ma désapprobation, mon insoumission, ma rébellion. La question n’était pas de savoir si je trouverai quelqu’un à mes côtés. Non, jamais vous ne comprendriez. Il fallait que quelqu’un se décidât à entamer la lutte. Que pouvais-je faire ? Mille choses en fait ! À commencer par écrire… Cela m’apparut comme une évidence. Je ne pouvais demeurer insensible !… Indifférent !… Non, je ne le pouvais pas, je ne le pouvais plus. Une telle attitude excuserait tous les manques d’attention à l’égard de mon alter ego

Souvent, lorsque les idées me trottaient dans la tête, il me venait à l’esprit des musiques. Quand je ressentais une joie et une légèreté parfois incompréhensibles dans un tel contexte, des airs de Wolfgang Amadeus Mozart comme l’adagio du concerto pour piano et orchestre n° 23 m’envahissaient. A contrario, lorsque j’étais tracassé, des polyphonies inondaient mon cerveau ; elles surgissaient avec gravité et engendraient in petto une douleur indicible ; je me sentais transporté au temps de mon enfance quand j’accompagnais ma mère aux commissions et que j’avais encore toute la vie devant moi pour accomplir une grande tâche ; à ce moment-là, je me sentais submergé par le Kyrie de la messe en si mineur de Jean Sébastien Bach. Qu’est-ce que tout cela cachait ?… Je n’en savais rien, mais bien des choses allaient changer dans ma vie.

Nombreux étaient ceux qui se rendaient parfaitement compte qu’ils n’étaient pas faits pour un combat qui, comme celui-là, exigeait un oubli total de ses problèmes personnels. Ils avaient reculé devant le danger. Connaissais-je quelqu’un qui voulut succomber à une forme grave de covid-19 ? Tout le monde, sans exception, désirait vivre et espérait échapper aux affres d’une telle fin. Même le plus misérable vermisseau aspire à la vie. Moi aussi, je craignais pour la mienne. Il me paraissait, en effet, compliqué d’envisager une mort sereine. Mais peut-être était-il bon, en toute tranquillité, de penser à une fin de vie difficile et de s’y préparer. Imaginer qu’on mourrait décemment, sans cris ni lamentations, semblait à la fois rédhibitoire et réconfortant. Je me posais une question fondamentale à laquelle je ne savais répondre ? Préférais-je vivre pour une cause injuste ou mourir pour une cause juste ? Il n’y avait pas de choix possible. Ni pour vous ni pour moi. Pour rester nous-mêmes, nous aurions dû suivre cette voie.

Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente**

I’m a poor lonesome doctor

 

Texte inspiré de la relecture du roman de Hans Fallada, Seul dans Berlin, Éditions Denoël et d’ailleurs, 1967.

* Georges Brassens, Mourir pour des idées, 1972, premier vers modifié.
** Georges Brassens, Mourir pour des idées, 1972.

Écrire pour des idées, l’idée est excellente
Moi j’ai failli mourir de ne l’avoir pas eue*

Ces deux vers résonnent en moi de manière impromptue et me remémorent le souvenir d’un échange téléphonique avec mon éditeur qui au début du premier confinement me demanda si je n’avais rien à exprimer à propos de l’épidémie de Sars-CoV-2 qui sévissait dans notre pays. Sa question m’étonna et je restai un long moment silencieux. Un blanc à n’en plus finir s’immisça dans notre conversation. L’absence de paroles ne signifie pas l’absence de pensées. Un temps suspendu propice à la réflexion ; une réflexion qui n’en fut pas vraiment une, du moins sur le moment. Je bafouillai « Oui, pourquoi pas ? » sans vraiment savoir ce que j’avais à dire, moi, pauvre petit médecin généraliste sur la ligne de front de la guerre contre « un virus invisible, insaisissable, mais qui progressait », moi, un sous-fifre, objet d’un total mépris de nos gouvernants, alors que les plateaux de télévision regorgeaient de professeurs émérites tous autoproclamés es-coronavirus.

Je laissai décanter sa proposition tandis qu’elle déclenchait en moi un ouragan de réflexion, de questionnement, de méditation et d’introspection. Serais-je fait pour être un lâche, me demandai-je avec amertume ? Qu’avais-je fait jusqu’alors pour que l’avenir fût meilleur ?… Rien ! Je me trouvai soudain honteux de rester les bras croisés. Le caractère hautement létal de ce nouveau virus et l’angoisse de devoir écrire sur des sujets de préoccupations auxquels j’étais confronté au quotidien suscitaient en moi des pensées obsédantes, torturantes et des visions d’effroi. Tout devenait de plus en plus confus. Les mêmes tourments et les mêmes images continuaient leur ronde lancinante. Le sommeil me quitta, les nuits devinrent un enfer. Alors je me levai, encore somnolent, j’allai lentement à mon bureau, le pas mal assuré à l’instar de mes idées. Enfin, sans conviction, je me mis à écrire. Quelque chose qui me parut dérisoire, insignifiant. Cependant, je sentis soudain les digues d’un barrage intérieur se fissurer ; elles ne tardèrent pas à céder sous la pression d’une force jusque-là contenue, voire refoulée. Une colère contre tout ce qui me révoltait et que je gardais de longue date au plus profond de mon être se déversa. Dans un texte intitulé Le virus et le médecin, fable du temps présent, je hurlai, ad nauseam, mon courroux, mon indignation, mon mécontentement, ma fureur, mon exaspération, ma furie, mon irritation, mon énervement, mon agacement, mon impatience, mon irritabilité, ma susceptibilité, ma rage, mon emportement, mon horripilation. Un cri libérateur affranchi de tous les carcans d’un prétendu devoir de réserve.

Peu coutumier des réseaux sociaux, publier des textes inédits sur le blog des éditions Cent mille milliards me procura une liberté d’expression que je ne connaissais pas. Alors je me mis à écrire de manière compulsive des billets d’humeur ! Des coups de plumes dans lesquels je laissais libre cours à mes idées, mes ressentis en empruntant le ton de la dérision ; je tenais parfois de propos insolents, voire impertinents. À présent, je voulais écrire afin d’éclairer mes semblables… C’était tout… Je souhaitais simplement dénoncer les dysfonctions, les incohérences, les travers de communications, les non-dits, les mensonges, les injustices, les injonctions paradoxales des instances sanitaires. Je voulais simplement combattre la politique du président de la République et de son gouvernement qui m’apparaissait délétère. J’appelais à une prise de conscience sur ce qui se profilait ; dénoncer la marchandisation de la santé, les difficultés de l’hôpital et de notre système de notre santé. La Santé n’est-elle pas un des biens les plus précieux ? Ne doit-elle pas répondre aux besoins de la population et permettre à ceux qui y travaillent de s’épanouir tout en étant rémunérés à leur juste valeur ? Elle ne devrait pas avoir comme unique paramètre la rentabilité. Il fallait absolument changer de paradigme. Ne rien n’attendre des effets d’annonce. Ne rien attendre des ministres de la Santé qui comme leurs prédécesseurs poursuivraient la même politique. L’hôpital n’était pas en « difficulté » ! Après tant d’années d’incurie, sa mort semblait imminente. Il était grand temps de se réveiller et de prendre la mesure du mal qui gangrénait la société. Je m’obligeai à vivifier les consciences et à insuffler un vent d’indignation et de révolte. Il m’importait de convaincre que le vote protestataire ou pire d’adhésion pour la droite extrême n’y changerait rien. J’en étais persuadé, profondément.

Mais, que m’étais-je imaginé, moi, simple médecin installé aux confins de la Lorraine ? C’était comme si un moucheron voulait lutter contre un éléphant. Je me rendais compte qu’il fallait résister, exprimer ma désapprobation, mon insoumission, ma rébellion. La question n’était pas de savoir si je trouverai quelqu’un à mes côtés. Non, jamais vous ne comprendriez. Il fallait que quelqu’un se décidât à entamer la lutte. Que pouvais-je faire ? Mille choses en fait ! À commencer par écrire… Cela m’apparut comme une évidence. Je ne pouvais demeurer insensible !… Indifférent !… Non, je ne le pouvais pas, je ne le pouvais plus. Une telle attitude excuserait tous les manques d’attention à l’égard de mon alter ego

Souvent, lorsque les idées me trottaient dans la tête, il me venait à l’esprit des musiques. Quand je ressentais une joie et une légèreté parfois incompréhensibles dans un tel contexte, des airs de Wolfgang Amadeus Mozart comme l’adagio du concerto pour piano et orchestre n° 23 m’envahissaient. A contrario, lorsque j’étais tracassé, des polyphonies inondaient mon cerveau ; elles surgissaient avec gravité et engendraient in petto une douleur indicible ; je me sentais transporté au temps de mon enfance quand j’accompagnais ma mère aux commissions et que j’avais encore toute la vie devant moi pour accomplir une grande tâche ; à ce moment-là, je me sentais submergé par le Kyrie de la messe en si mineur de Jean Sébastien Bach. Qu’est-ce que tout cela cachait ?… Je n’en savais rien, mais bien des choses allaient changer dans ma vie.

Nombreux étaient ceux qui se rendaient parfaitement compte qu’ils n’étaient pas faits pour un combat qui, comme celui-là, exigeait un oubli total de ses problèmes personnels. Ils avaient reculé devant le danger. Connaissais-je quelqu’un qui voulut succomber à une forme grave de covid-19 ? Tout le monde, sans exception, désirait vivre et espérait échapper aux affres d’une telle fin. Même le plus misérable vermisseau aspire à la vie. Moi aussi, je craignais pour la mienne. Il me paraissait, en effet, compliqué d’envisager une mort sereine. Mais peut-être était-il bon, en toute tranquillité, de penser à une fin de vie difficile et de s’y préparer. Imaginer qu’on mourrait décemment, sans cris ni lamentations, semblait à la fois rédhibitoire et réconfortant. Je me posais une question fondamentale à laquelle je ne savais répondre ? Préférais-je vivre pour une cause injuste ou mourir pour une cause juste ? Il n’y avait pas de choix possible. Ni pour vous ni pour moi. Pour rester nous-mêmes, nous aurions dû suivre cette voie.

Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente**

I’m a poor lonesome doctor

 

Texte inspiré de la relecture du roman de Hans Fallada, Seul dans Berlin, Éditions Denoël et d’ailleurs, 1967.

* Georges Brassens, Mourir pour des idées, 1972, premier vers modifié.
** Georges Brassens, Mourir pour des idées, 1972.

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