#fragilité

5/04/2023

Camille Fumard

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SVB : Le transfert de fragilité ou méthode des grands investisseurs en capitalrisque

L'annonce de la Réserve fédérale de porter les taux directeurs entre 4,75 et 5 % a privilégié la lutte contre l'inflation. La Fed semble miser sur la "mithridatisation" du système bancaire régional américain mais aussi sur celle des Venture Capitalists dont la garantie de tous les dépôts a très vite coupé court aux débats. Jérome Powell a tranché mais il reste un angle mort : quid de l'avenir des Venture Capitalists ? Quel sera l'impact sur l'idéologie californienne de la fin de l'argent facile ?

« Échouez vite, soyez dingue »

C’est un secret de polichinelle : le spectre de la fragilité (ce mouvement qui va de la fragilité à la résilience) dans les milieux de la tech et des Venture Capitalists est étiré au maximum. C’est ce que révèle Aileen Lee en 2013 lorsqu’elle invente le terme de « licorne » dans une étude où elle démontre que moins de 0,1% des entreprises dans lesquelles investissent les fonds de capital-risque atteignent des valorisations supérieures à 1 milliard de dollars. Il faut ainsi un grand nombre de startups qui échouent pour obtenir potentiellement un succès futur. Depuis, nous parlons plutôt de Centaures (pour une valorisation de plus de 100 millions de dollars de revenus).

Un secteur très aléatoire

Un secteur très aléatoire où la fragilité de toutes les startups est quelque part nécessaire pour que l’économie soit antifragile, explique dès 2007 Tom Foremski, ancien journaliste au Financial Times qui analyse dans son blog Silicon Valley Watcher l’évolution de l’écosystème tech dans une critique du livre Le Cygne Noir du libanoaméricain et statisticien Nassim Nicholas Taleb qui lui-même place le modèle de capital-risque dans la zone antifragile de sa triade fondamentale (fragile, robuste ou antifragile) mise en avant dans son ouvrage Antifragile : Les bienfaits du désordre. L’empire technologique et son financement correspondent à un modèle de leadership à visée exponentielle, où il n’existe aucune limite à la richesse, à l’impact créé par une technologie, une entreprise, un entrepreneur. Tom Foremski en conclut dans sa critique : « La Silicon Valley est certainement l’Extrêmistan [...] les cygnes noirs nagent tous en amont. Les succès de la vallée ont un impact énorme sur le réseau. [...] Et si vous pariez mal, et alors ? Vous allez parier 10 000, 100 000, un million ? Un million peut se transformer en milliard très rapidement par ici. »

En effet, l’ampleur du succès d’une startup est imprévisible. Pas de recette pour être une licorne - même si, a posteriori, on cherche toujours à trouver la chaîne de causalité. Depuis la fin des années 2010, le refrain n’a pas changé. Dans l’Extrêmistan, les cygnes noirs ont du pouvoir, il n’existe aucune limite naturelle à l'imprévisibilité, on n’envisage l’avenir que dans ce qu’il apporte comme options. Pour Nassim Nicholas Taleb, le monde des Venture Capitalists est antifragile car procédant de ce qu’il appelle le transfert de fragilité, qui permet au système de s’améliorer dans un environnement instable.

Fin de l’euphorie ou mithridatisation du système ?

Aujourd’hui, l’euphorie de l’idéologie californienne bat cependant de l’aile : le financement du capital-risque atteint son niveau le plus bas depuis 9 ans, rappelle Noah Smith (journaliste et commentateur américain en économie) dans sa récente newsletter Noahpinion sur SVB (Why was there a run on Silicon Valley Bank ?) avec la hausse des taux d’intérêt.

Déjà l’effondrement de la crypto-banque avec la liquidation de Silvergate Capital, la fraude hallucinante de FTX ou encore les vagues de licenciements dans la tech avaient tari le capital investissement et entamé la confiance des investisseurs. Or, SVB est l’archétype de ce milieu tech / VC de la Silicon Valley, un milieu où globalement les possibilités extrêmes remplacent la stabilité et la sécurité. Pour autant, SVB a été qualifiée de « banque bizarre dans un coin inhabituel de l’économie ». En effet, contrairement aux banques traditionnelles les filets de sécurité pour les déposants n’étaient qu’à hauteur de 250 000 dollars. La latitude dans la gestion des risques était donc hyperlaxe en cas de ruée bancaire ! La déclaration d’un grand investisseur en capital-risque comme Peter Thiel (Founders Fund) conseillant aux entreprises de son portefeuille de retirer leur argent de la SVB a pu déclencher cette ruée dans ce microcosme. Plurifactorielle (baisse de la valeur des actifs, vente d'actions communiquée d'une manière maladroite) la faillite de SVB a donné le sentiment d’un secteur où le processus de transfert de fragilité semble atteindre ses limites. À moins que cette faillite ne conduise à la « mithridatisation » de ce type de leadership.

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[1] Figure majeure de la Silicon Valley et co-fondateur de PayPal et LinkedIn.

[2] Auteur, investisseur et entrepreneur.

SVB : Le transfert de fragilité ou méthode des grands investisseurs en capitalrisque

L'annonce de la Réserve fédérale de porter les taux directeurs entre 4,75 et 5 % a privilégié la lutte contre l'inflation. La Fed semble miser sur la "mithridatisation" du système bancaire régional américain mais aussi sur celle des Venture Capitalists dont la garantie de tous les dépôts a très vite coupé court aux débats. Jérome Powell a tranché mais il reste un angle mort : quid de l'avenir des Venture Capitalists ? Quel sera l'impact sur l'idéologie californienne de la fin de l'argent facile ?

« Échouez vite, soyez dingue »

C’est un secret de polichinelle : le spectre de la fragilité (ce mouvement qui va de la fragilité à la résilience) dans les milieux de la tech et des Venture Capitalists est étiré au maximum. C’est ce que révèle Aileen Lee en 2013 lorsqu’elle invente le terme de « licorne » dans une étude où elle démontre que moins de 0,1% des entreprises dans lesquelles investissent les fonds de capital-risque atteignent des valorisations supérieures à 1 milliard de dollars. Il faut ainsi un grand nombre de startups qui échouent pour obtenir potentiellement un succès futur. Depuis, nous parlons plutôt de Centaures (pour une valorisation de plus de 100 millions de dollars de revenus).

Un secteur très aléatoire

Un secteur très aléatoire où la fragilité de toutes les startups est quelque part nécessaire pour que l’économie soit antifragile, explique dès 2007 Tom Foremski, ancien journaliste au Financial Times qui analyse dans son blog Silicon Valley Watcher l’évolution de l’écosystème tech dans une critique du livre Le Cygne Noir du libanoaméricain et statisticien Nassim Nicholas Taleb qui lui-même place le modèle de capital-risque dans la zone antifragile de sa triade fondamentale (fragile, robuste ou antifragile) mise en avant dans son ouvrage Antifragile : Les bienfaits du désordre. L’empire technologique et son financement correspondent à un modèle de leadership à visée exponentielle, où il n’existe aucune limite à la richesse, à l’impact créé par une technologie, une entreprise, un entrepreneur. Tom Foremski en conclut dans sa critique : « La Silicon Valley est certainement l’Extrêmistan [...] les cygnes noirs nagent tous en amont. Les succès de la vallée ont un impact énorme sur le réseau. [...] Et si vous pariez mal, et alors ? Vous allez parier 10 000, 100 000, un million ? Un million peut se transformer en milliard très rapidement par ici. »

En effet, l’ampleur du succès d’une startup est imprévisible. Pas de recette pour être une licorne - même si, a posteriori, on cherche toujours à trouver la chaîne de causalité. Depuis la fin des années 2010, le refrain n’a pas changé. Dans l’Extrêmistan, les cygnes noirs ont du pouvoir, il n’existe aucune limite naturelle à l'imprévisibilité, on n’envisage l’avenir que dans ce qu’il apporte comme options. Pour Nassim Nicholas Taleb, le monde des Venture Capitalists est antifragile car procédant de ce qu’il appelle le transfert de fragilité, qui permet au système de s’améliorer dans un environnement instable.

Fin de l’euphorie ou mithridatisation du système ?

Aujourd’hui, l’euphorie de l’idéologie californienne bat cependant de l’aile : le financement du capital-risque atteint son niveau le plus bas depuis 9 ans, rappelle Noah Smith (journaliste et commentateur américain en économie) dans sa récente newsletter Noahpinion sur SVB (Why was there a run on Silicon Valley Bank ?) avec la hausse des taux d’intérêt.

Déjà l’effondrement de la crypto-banque avec la liquidation de Silvergate Capital, la fraude hallucinante de FTX ou encore les vagues de licenciements dans la tech avaient tari le capital investissement et entamé la confiance des investisseurs. Or, SVB est l’archétype de ce milieu tech / VC de la Silicon Valley, un milieu où globalement les possibilités extrêmes remplacent la stabilité et la sécurité. Pour autant, SVB a été qualifiée de « banque bizarre dans un coin inhabituel de l’économie ». En effet, contrairement aux banques traditionnelles les filets de sécurité pour les déposants n’étaient qu’à hauteur de 250 000 dollars. La latitude dans la gestion des risques était donc hyperlaxe en cas de ruée bancaire ! La déclaration d’un grand investisseur en capital-risque comme Peter Thiel (Founders Fund) conseillant aux entreprises de son portefeuille de retirer leur argent de la SVB a pu déclencher cette ruée dans ce microcosme. Plurifactorielle (baisse de la valeur des actifs, vente d'actions communiquée d'une manière maladroite) la faillite de SVB a donné le sentiment d’un secteur où le processus de transfert de fragilité semble atteindre ses limites. À moins que cette faillite ne conduise à la « mithridatisation » de ce type de leadership.

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[1] Figure majeure de la Silicon Valley et co-fondateur de PayPal et LinkedIn.

[2] Auteur, investisseur et entrepreneur.

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